Soyons clair : Night Call (à ne pas confondre avec le morceau de Kavinsky) est un titre qui convient parfaitement au film dont je m’apprête à vous parler. En effet, « Appel Nocturne » semble tout indiqué dans le cas présent. Pourtant, ce sont les distributeurs français qui ont étrangement décidé de l’appeler de cette façon. Ainsi, aux États-Unis, le titre du long-métrage est Nightcrawler. « Ver de terre », si vous préférez. Un nom qui permet de comprendre bien plus profondément ce que nous réserve ce projet visible chez nous depuis le 26 novembre.
Nommé à la fois aux Golden Globes 2015, aux Independent Spirit Awards 2015, et aux Screen Actors Guild Awards 2015 pour un total de 7 prix, on aura du mal à croire que Night Call est le tout premier film de son réalisateur Dan Gilroy. C’est pourtant bien le cas. Et si le metteur en scène a déjà été scénariste pour The Fall, Jason Bourne : L’héritage, ou encore Real Steel, il n’en reste pas moins qu’il ne s’était jamais retrouvé derrière la caméra. C’est d’ailleurs son frère John qui a monté le film qui nous intéresse (tandis que son deuxième frère Tony a produit le tout). C’est dire à quel point ce cinéaste américain de 55 ans (tout de même) a voulu s’impliquer dans le projet.
Que dire dans ce cas de Jake Gyllenhaal, l’acteur américain que l’on ne présente plus et que l’on a pu voir, entre autres, dans Donnie Darko, Prisoners, Source Code ou encore Enemy (je vous invite d’ailleurs à lire ma critique de ce dernier en cliquant ici) ? En effet, pour les besoins de Night Call ce comédien multi-casquettes n’a pas hésité à perdre 9 kg afin de rendre son rôle encore plus crédible. A noter qu’il avait déjà eu recours à ce genre de pratiques, mais dans le sens inverse. En effet, Jake avait dû prendre plusieurs kilos de muscles avant d’incarner le soldat Swofford dans Jarhead. Pour l’anecdote, et puisqu’on parle d’implication, sachez qu’il s’est même gravement blessé à la main durant le tournage de Night Call (vous reconnaîtrez la scène en question une fois en salles). Deux heures après s’être fait recoudre à l’hôpital, le trentenaire barbu était de retour à son poste. Mais il est maintenant temps d’aborder le synopsis qui nous intéresse, voulez-vous ?
Le film se déroule à Los Angeles, et ce, quasiment exclusivement de nuit. Louis Bloom, qui se fera très vite appelé Lou par tous les protagonistes, est un jeune paumé en manque d’argent. D’abord voleur à la manque au début du film, il exploitera très vite un nouveau filon, celui des vidéos choc que l’on revend aux chaînes TV d’informations. Le réalisateur Dan Gilroy dénonce volontiers à travers son film cette course au scoop qui sévit depuis maintenant quelques années dans les médias du monde entier.
Bien sûr, cette satire vise essentiellement les États-Unis et, comme il le dit lui-même en parlant de son projet, les chaînes d’informations télévisuelles ont fini par ne plus rien apporter d’autre que de la désinformation. Cette soif d’audimat se traduit bien souvent par une surmédiatisation des faits divers que sont le meurtre ou encore le cambriolage. Les citoyens américains ne se sentent plus en sécurité et, indirectement, c’est ce qui rend florissant le business des armes à feu aux USA, tandis que, paradoxalement, le taux de criminalité local ne cesse en réalité de baisser.
N’allez pas vous imaginer pour autant que Night Call est un documentaire à la Bowling for Columbine. Ici, bien que le sujet soit sérieux et très crédible, il n’en reste pas moins que l’on suit avec attention l’ascension de Lou. Sa montée en puissance, pourrais-je même dire. Car si l’homme en question est tout au plus « intrigué » par son nouveau job au début du film, c’est bel et bien un bosseur déterminé et prêt à tout auquel on va avoir droit par la suite. C’est d’ailleurs en cela que le long-métrage est réussi. Plutôt que de nous tenir en haleine via son intrigue, Night Call nous prend aux tripes de par la qualité de son jeu d’acteur. Alors certes, Rene Russo (que le temps n’a pas épargné depuis L’arme Fatale mais qui est également l’épouse du réalisateur dans la vraie vie) n’a pas énormément de lignes de dialogues à nous proposer. Quant à Kevin Rahm (le gay gentillet de Desperate Housewives), force est de constater qu’il n’est pas bien convaincant en PDG d’une chaîne de télévision. C’est donc du côté du tandem principal qu’il faudra regarder. Cela tombe bien, on ne voit quasiment que ces deux hommes durant les 117 minutes que dure Night Call.
Pourquoi tenter de tergiverser alors que je peux vous résumer ça très simplement : Jake Gyllenhaal est ici à tomber par terre ! Sa performance est à couper le souffle. Littéralement. Ayant eu la chance de voir le film en VO, je peux vous assurer que sa prestation force le respect. Tantôt Ying, tantôt Yang, Lou est un personnage énigmatique. Parfois doux comme un agneau, parfois terrifiant, c’est sa soif de pouvoir qui ici nous inquiète et ne nous lâche pas. Très loin d’un Al Pacino dans Scarface, ce nouveau journaliste de l’extrême ne cache pas pour autant son désir de réussite. Comme il le dit lui-même, l’école c’était pas son truc. Alors, pour arriver à ses fins il s’est forgé des connaissances multiples (c’est le cas de le dire) en surfant sur internet, et ce, quasiment 24/24. Cette notion de « tout et tout de suite » donne lieu à des dialogues d’anthologie débités à un rythme fou de la part de l’acteur. Il parle très vite, ne cligne que très rarement des yeux, et ne recule devant rien. Paradoxalement, en le voyant déambuler autour des scènes de crimes qui rapportent le plus, caméra à l’épaule, on ne peut s’empêcher de le comparer à un gamin. Un jeune enfant qui s’émerveille de tout et de rien. Là encore, tout passe par les mimiques de l’acteur, et notamment son sourire un brin flippant (Jack Nicholson, si tu nous lis…).
Mais qui dit tandem dit aussi acolyte. En effet, Lou va vite avoir l’ambition de monter sa propre boîte de prod spécialisée dans le tournage vidéo d’images trash. Quoi de mieux alors, après avoir acheté un scanner de police, que d’engager un co-pilote le dirigeant sur les lieux fatidiques des crimes en cours ? Riz Ahmed (Centurion, Or Noir…) interprète donc avec brio le jeune Rick. Et il a une bonne tête, ce Rick. Il cherche du boulot mais n’a aucune expérience. Il veut bien bosser pour une chaîne d’infos mais il n’a pas de TV chez lui. Pire, il est quasiment SDF. On lui notera également des tics (et des tocs) en tout genre, et une légère propension à se faire marcher dessus. Là encore, le jeu d’acteur est plus que convaincant et on en vient rapidement à s’attacher à ce « second couteau » qui n’aura de cesse que de subir les ordres et conseils un brin farfelus de Lou.
Côté sonore, Night Call fait dans le classique et ça fonctionne à merveille. Très peu de musiques, beaucoup de bruits d’ambiance, il n’en fallait pas plus pour retranscrire la vie nocturne « réelle » de la cité des anges. Le mixage sonore est quant à lui impeccable et mélange savamment les scènes dites calmes (dialogues parlés à voix basse, scènes de contemplation…) avec les passages un peu speed. On pense notamment à certaines scènes de crimes, ou encore à une poursuite en voiture tout bonnement ahurissante qui fera allégrement vibrer votre siège. Un passage grisant à souhait dont vous me direz des nouvelles.
La photographie, quant à elle, est superbe et, soyons clair : le grain que se traîne le film du début à la fin est du plus bel effet. Merci à son directeur, donc, monsieur Robert Elswit. Il me tarde cependant de visionner tout ça en Blu-Ray pour confirmer ma première impression sur le sujet. J’avais en effet été surpris par le taux de bruit vidéo tout juste hallucinant auquel on avait droit sur le Blu-Ray de Collatéral (de Michael Mann, avec Jamie Foxx et Tom Cruise). Si je fais allusion à ce film (que j’adore d’ailleurs), c’est aussi et surtout parce que, tout comme Night Call, il se déroule à L.A durant la nuit. On peut également noter qu’on y voyait déjà un tandem masculin (Blanc / Noir contre Blanc / Arabe dans Night Call) qui se déplaçait en voiture et ce, jusqu’au petit jour. J’y vois également un parallèle avec l’excellentissime A Tombeau Ouvert (de Martin Scorcese, avec Nicolas Cage, John Goodman et Patricia Arquette), dans lequel le protagoniste principal conduisait une ambulance de nuit dans les quartiers les plus atypiques de New-York. Il était mal dans sa peau et était, tout comme Lou, confronté à des tonnes d’accidents et de bagarres sanglantes.
Vous l’aurez compris, Night Call est loin de nous faire penser à des projets cinématographiques de seconde zone. A des années lumière de la déception appelée La Bataille des Cinq Armées (le troisième et dernier volet de la saga Le Hobbit, pour ceux qui n’auraient pas suivi), le premier film de Dan Gilroy est, n’ayons pas peur des mots, un pur chef-d’oeuvre. D’aucuns diront qu’il ne doit sa superbe qu’à Jake Gyllenhaal. Loin de moi l’idée de nier son incroyable performance. Pour autant, on ne peut passer outre le « reste » du film, à savoir sa mise en scène haletante, son scénario intrigant, sa bande-son de rigueur ou encore sa photographie respectable.
Notez d’ailleurs que le film n’a bénéficié « que » de 8 000 000 $ de budget. Le résultat est donc d’autant plus impressionnant. La transformation physique de monsieur Jarhead, ainsi que la justesse ébouriffante de son « second rôle principal » font de ce Nightcrawler (histoire de rendre hommage au titre originel) un incontournable parmi les incontournables, et sans nul doute LE coup de coeur 2014 de votre serviteur (aux côtés, bizarrement, d’un certain Enemy).
Très instructif ton article !
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Merci c’est gentil 😉
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